Si les questions relatives à l’enfant occupent une grande place au moment de la séparation de ses parents, il est particulièrement complexe d’appréhender sa parole dans ce contexte. Le jeudi 28 mars 2019, la Maison des Liens Familiaux organisait un petit-déjeuner débat pour permettre aux familles et aux professionnels d’explorer ce thème sous deux aspects : le point de vue de celui qui reçoit la parole de l’enfant (parent, juge…) et le besoin de l’enfant.
Pour débattre, deux professionnelles de la MDLF : Sylvia Maccalli, médiatrice familiale et psychologue qui y intervient en médiation familiale,en accompagnement à la parentalité et à l’espace de rencontre, et Maître Marion Naigeon, avocate au Barreau de Paris, qui y tient une des permanences de l’accueil juridique.
Pour aller plus loin vous pouvez consulter notre Bibliographie La Parole de l’enfant dans la séparation parentale et nos fiches juridiques et pratiques :
- Comprendre sa parole en médiation familiale
- Comprendre la parole de l’enfant dans la séparation parentale
- L’audition de l’enfant par le Juge aux affaires familiales : les enjeux pour l’enfant
- L’audition de l’enfant par le Juge aux affaires familiales : le difficile équilibre entre respect du droit à être entendu et protection de l’enfant
- L’audition de l’enfant par le Juge aux affaires familiales : les enjeux pour le juge
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La place de l’enfant dans notre contexte sociétal
Aujourd’hui, une grande place est accordée à l’enfant et à sa parole, a d’abord rappelé Silvia MACCALLI. D’un point de vue psychologique, il est considéré comme un sujet dès son plus jeune âge. D’un point de vue sociologique, le déclin du mariage et l’augmentation des séparations le placent en fondateur de la famille contemporaine.
Les liens parentaux – plus pérennes – sont placés au premier plan, devant les liens conjugaux. Cela se traduit dans la législation, et récemment dans la loi du 18 novembre 2016 critiquée par beaucoup pour avoir donné trop de place à l’enfant dans la procédure de ses parents dans la mesure où sa parole va permettre ou pas le divorce par consentement mutuel.
L’enfant et ses émotions dans le contexte de la séparation
Silvia MACCALLI a replacé la parole de l’enfant dans le contexte de la séparation, c’est-à-dire celui d’une nouvelle configuration familiale. Chaque enfant y a une place particulière : celle d’un enfant qui ne comprend pas vraiment ce qu’il vit, d’un enfant qui tente de défendre à tout prix l’un des parents, de celui à qui l’on demande de prendre parti, de l’enfant qui prend la place d’un de ses parents, d’un enfant envahi par des émotions qu’il n’arrive pas à partager….
C’est dans ce contexte qu’il va vouloir parler ou devoir parler. Les émotions qui l’habitent peuvent être très variées : tristesse, culpabilité, colère…sérénité parfois lorsque les conflits ont été très importants avant la séparation. Les identifier et les nommer n’est pas évident, d’autant plus pour un enfant et lorsqu’elles le submergent.
Enfin, pour les enfants qui sont très réceptifs au climat émotionnel dans lequel ils évoluent, il peut être difficile de distinguer les émotions qui leur sont propres de celle des autres, a souligné la psychologue.
La parole de l’enfant et son interlocuteur
L’enfant s’adresse d’abord à ses proches : ses parents, sa famille proche, son monde social qui s’élargit au fur et à mesure qu’il grandit. Il peut aussi parler à des professionnels (psychologues, éducateurs). Ses interlocuteurs sont donc assez variés.
La parole de l’enfant peut être très différente en fonction de son interlocuteur. Là encore, a expliqué Mme MACCALLI, le contexte a un impact sur ses paroles : une rivalité entre parents, un conflit très important, une absence de communication entre les parents, des discours d’accusations permanentes envers l’autre parent… Dans de tels contextes, il n’est pas étonnant que l’enfant s’interdise de parler à l’un des parents de l’autre, ou qu’il tienne des discours opposés. Il peut ainsi arriver qu’il dise à chacun de ses parents vouloir vivre avec lui. Pour la psychologue, il exprime là son envie de rester avec chacun.
Mme MACCALLI a également expliqué comment le conflit de loyauté modifiait le discours de l’enfant en fonction de son interlocuteur. « L’enfant est fait d’une partie de chacun de ses parents donc comment faire quand être loyal avec l’un veut dire trahir l’autre ? Il se sent empêché de pouvoir aimer son père et sa mère en même temps. Il est donc amené à changer son discours en fonction de l’interlocuteur pour garder l’amour de chacun ».
Enfin, très souvent, l’enfant va s’investir d’une mission : protéger l’un des parents, protéger la famille du conflit, éviter le conflit entre ses parents…Dans ces situations, il va tout faire pour apaiser le conflit, en premier lieu filtrer sa parole.
Dans ces conditions, comment entendre l’enfant derrière sa parole ?
Entendre l’enfant derrière ses paroles
Pour Silvia MACCALLI, écouter un enfant parler de ce qu’il vit dans la séparation de ses parents, c’est d’abord se dégager de son discours littéral. L’idée est de décentrer sa parole en cherchant à voir ce que l’enfant met en lumière, de s’intéresser à ce qu’il évoque de son monde interne, au-delà des mots qu’il emploie.
Plutôt que d’écouter ses mots, il s’agirait d’écouter ce que son discours relate : des souffrances, des angoisses, des points de soulagements, des craintes, une peur de faire souffrir quelqu’un… ?
Les paroles de l’enfant peuvent ainsi traduire sa difficulté de se partager en deux lorsque, compte tenu d’un contexte conflictuel par exemple, ce qu’il vit avec l’un des parents ne peut pas exister quand il est avec l’autre. Dans ces situations, l’enfant met systématiquement une partie de lui de côté alors qu’il est par ailleurs en pleine construction.
Le discours de l’enfant peut encore refléter une inquiétude au sujet de l’un de ses parents qu’il sent fragile ou en danger, ou dire quelque chose du vécu émotionnel d’un de ses parents, qu’il s’est approprié (colère, blessure, culpabilité, inquiétude, angoisses vis-à-vis de l’autre.).
Par son aspect contradictoire, la parole de l’enfant apporte un éclairage sur le conflit parental : elle peut indiquer que le conflit est très important, que l’enfant n’a pas la place d’exprimer ses propres émotions et besoins, que les parents ne le dégagent pas suffisamment d’un conflit de loyauté…
Ce sont ces paroles, parfois contradictoires et en tous les cas complexes à recueillir, que le JAF peut être amené à recueillir dans le cadre d’une procédure judiciaire entre les parents.
L’audition de l’enfant par le juge aux affaires familiales (JAF)
Si l’enfant n’est pas partie à la procédure devant le JAF, il peut être entendu dans la mesure où il est concerné par l’issue de celle-ci. Me Marion NAIGEON a exposé le cadre légal de l’audition de l’enfant par le JAF, cadre qui distingue deux situations :
- Lorsque la demande d’audition de l’enfant émane d’un des parents, le juge peut la refuser au motif de l’intérêt de l’enfant. Me Marion NAIGEON a cité en exemple les cas où le juge estime qu’il y a un risque d’instrumentalisation de l’enfant dans le conflit, où la situation est trop conflictuelle, où l’enfant a déjà été auditionné ou encore s’il estime que l’audition ne sera pas utile aux débats.
- Lorsqu’elle émane de l’enfant, l’audition est de droit, c’est-à-dire qu’elle s’impose au juge. Dans ce cas, le juge peut refuser l’audition uniquement en cas d’absence de discernement de l’enfant et si la procédure ne le concerne pas l’enfant.
Le juge doit en premier lieu garantir l’effectivité du droit de l’enfant d’être entendu : la lettre de l’enfant était-elle spontanée ? A-t ’il vraiment envie d’être entendu ?
Le vocabulaire utilisé dans la lettre (la demande de l’enfant doit être faite par lettre manuscrite) est un indice du degré de spontanéité de la demande. Le juge tient également compte du contexte du dossier : les procédures antérieures, les auditions préalables…il y a également beaucoup de jurisprudence sur l’enfant pris dans un conflit de loyauté tel que son discernement est considéré comme aboli.
Ensuite, il doit apprécier le discernement de l’enfant, notion non définie juridiquement : « ce n’est pas la maturité, mais la capacité de l’enfant à s’exprimer le plus librement possible en ayant conscience de l’enjeu du conflit de ses parents » a expliqué Me Naigeon. « L’âge médian des enfants auditionnés en France est de 10 ans. Il existe des conventions entre certains barreaux et leur juridictions (à Paris, par exemple l’âge est fixé à 7 ans). Parfois quand il y a une fratrie, tous les enfants sont entendus, avec délégation à un professionnel du tribunal (ex : psy du tribunal) ». « Tout dépend du contexte et de ce que le juge cherche ».
Dans sa pratique, Me Marion NAIGEON a observé que l’enfant est le plus souvent entendu dans des procédures relatives à la fixation de la résidence de l’enfant, l’établissement du droit de visite et d’hébergement de l’autre parent, et surtout en cas de demande de résidence alternée en particulier lorsqu’il implique un adolescent.
Les modalités de l’audition de l’enfant
L’audition peut avoir lieu à tout moment de la procédure, même en cours de délibéré.
L’enfant reçoit une convocation. Selon les tribunaux, l’audition de l’enfant est faite directement par le JAF ou par un professionnel mandaté par lui (psychologue, médiateur familial…). À Paris, le JAF entend directement l’enfant qui doit être accompagné d’un avocat de l’Antenne des mineurs (avocats formés et spécialisés à la protection et accompagnement de l’enfant). Le rôle de l’avocat est de soutenir la parole de l’enfant : il s’agit d’amener l’enfant à se sentir libre de parler.
Le principe du contradictoire implique que les parents doivent pouvoir débattre du contenu de l’audition. Le JAF rédige donc un compte-rendu de l’audition de l’enfant. Mais le juge doit également assurer la protection de l’enfant, notamment des risques de représailles. C’est pourquoi, il demande préalablement à l’enfant ce qui doit être relaté ou pas. « Le juge est donc au cœur du processus de l’audition », a conclu Me NAIGEON.
Quel poids pour la parole de l’enfant dans la procédure devant le JAF ?
Si les pratiques des juges sont variées, la question est toujours la même : comment tenir compte de cette parole et prendre une décision ?
Le juge n’est pas lié par le sentiment exprimé par l’enfant. Son seul critère est l’intérêt supérieur de l’enfant et à cet égard, l’audition de l’enfant n’est qu’un élément parmi d’autres dans le dossier : attestations, certificats médicaux, conclusions, expertises…
Par exemple, le code civil fixe plusieurs éléments à prendre en compte pour fixer la résidence de l’enfant : la pratique antérieure, les capacités éducatives, la capacité de communiquer, de respecter la place de l’autre parent…Ces éléments sont pris en compte autant que l’audition de l’enfant, ce qui peut être difficile à entendre pour l’enfant qui a dit son souhait. Aussi, il y a parfois des écueils d’ordre pratiques : contraintes professionnelles d’un des parents, déménagements… « Dans ces conditions, certaines décisions peuvent paraître aberrantes aux familles » a reconnu Me NAIGEON.
Enfin, le juge ne pourra pas suivre l’enfant qui veut tout couper avec un parent car ce dernier a le droit d’exercer son autorité parentale.
Quelle place pour l’enfant dans la procédure de ses parents ?
Marion NAIGEON a observé que l’intervention de l’enfant dans la procédure aggrave souvent le conflit, le conflit conjugal devenant conflit familial. « Certains enfants parlent au juge en croisant les doigts pour qu’il ne les écoute pas…Ce n’est pas la procédure de l’enfant ; on lui demande son avis dans le cadre de la procédure de ses parents, comme pour lui dire : on ne sait pas ce qui est mieux pour toi donc tu vas parler ».
Pour l’avocate, on met ainsi souvent l’enfant à une place qui n’est pas la sienne. De plus, on peut craindre qu’avoir été auditionné lui procure un sentiment de toute puissance, ou lui donne le sentiment de n’avoir pas du tout été entendu lorsque la décision ne va pas dans le sens de ce qu’il a dit. L’avocate s’interroge souvent sur la vision de la justice que l’enfant en retire dès son jeune âge.
Dans sa pratique, Me NAIGEON a indiqué préférer que la demande d’audition vienne de l’enfant. Lorsqu’un client souhaite que son enfant soit entendu, elle se montre vigilante et l’alerte sur les différents enjeux familiaux, l’intérêt de l’enfant etc. « Ce peut être violent pour l’enfant, il faut réfléchir à la manière dont on fait participer l’enfant à cette procédure », a-t-elle dit, évoquant le cas d’un enfant de 5 ans arrivé avec 40 de fièvre à son audition. « Demander une enquête médico-sociale peut être plus confortable et protecteur pour l’enfant ». Cette mesure est plus longue et les parents sont également entendus.
La problématique de la place de l’enfant dans la procédure de ses parents se repose avec le divorce par consentement mutuel devant notaire instauré par la loi du 18 novembre 2016. Un formulaire doit être présenté à l’enfant afin de l’informer de ses droits à être entendu, ce formulaire précisant que dans le cas où il souhaiterait être entendu, ses parents ne pourront plus divorcer à l’amiable et que le divorce aura lieu selon une procédure contentieuse.
Les parents décident avec les avocats si l’enfant a assez de discernement pour pouvoir cocher les cases du formulaire. Pour Me NAIGEON cela représente une charge énorme sur les épaules de l’enfant, qui « décide » ainsi si le divorce sera amiable ou contentieux. De plus, l’avocate s’est interrogée avec la salle : « est-ce qu’on fait systématiquement entendre l’enfant même quand les parents sont d’accord ? Si c’est une avancée en termes de droit puisque l’information des enfants s’agissant de leurs droits devient effective, est-ce que c’est la place de l’enfant d’être entendu alors que mes parents sont d’accord ? »
Perspectives d’évolution
La comparaison des juridictions montre que si beaucoup de JAF considèrent l’audition de l’enfant utile, d’autres estiment qu’elle est a priori instrumentalisée et la refusent par principe. Cela qui doit conduire, selon Me NAIGEON, à interroger la formation des magistrats à l’audition de l’enfant.
L’avocate dit avoir parfois le sentiment que l’enfant, entendu une dizaine de minutes dans le bureau du juge, n’a pas pu exprimer ce qu’il souhaitait.
Par ailleurs, les pratiques sont très variées : ainsi le Tribunal de Tarascon fonctionne systématiquement par co-audition de l’enfant (elle est conduite par le juge et un médiateur familial). Faut-il uniformiser les pratiques ? Décider uniformément qu’à partir d’un certain âge, le discernement est acquis et qu’en deçà cela reste à l’appréciation des juges ? Instaurer la possibilité d’un appel sur le refus de l’audition de l’enfant ?
Du côté des avocats, les réflexions sont également menées : formation à l’audition de l’enfant, chartes de bonnes pratiques, et surtout renforcement du rôle de l’avocat. Aujourd’hui, celui-ci n’intervient que juste avant l’audience. Il pourrait assister le mineur dès le début de la procédure, être reçu par l’avocat après la décision pour qu’il puisse échanger avec lui de la décision. Enfin, l’avocat du mineur pourrait être le même dans toutes les procédures.
Enfin, la loi permettant aujourd’hui d’instaurer du conventionnel dans une procédure judiciaire, les avocats pourraient réfléchir à un meilleur cadre que le cadre judiciaire pour entendre l’enfant. Par le biais de convention, a indiqué Me NAIGEON, les avocats peuvent établir un calendrier judiciaire, décider d’un process. Les parents pourraient ainsi, via leur avocat respectif, choisir un professionnel qui entendrait leur enfant dans un cadre où sa parole serait plus libre. Cela invite à une réflexion avec les médiateurs familiaux.
La médiation familiale comme espace où réfléchir à la place de l’enfant ?
Interrogée par les participants sur la présence des enfants en médiation familiale, Silvia MACCALLI a justement rappelé qu’elle était très rare. En effet, si certains parents arrivent avec ce désir de faire participer leur enfant à la médiation, la plupart du temps ils réalisent au fur et à mesure des séances que le travail qu’ils effectuent entre eux a un effet sur leur enfant et ne voient plus la nécessité de l’y impliquer.
L’intervention d’une mère de famille a conclu cette matinée en illustrant les différents points abordés : en cours de séparation et mère de trois enfants, elle voit son aîné complètement « contre » elle, le cadet « culpabiliser » et le benjamin « faire le conciliateur ». L’aîné étant très dure avec elle, cette mère a indiqué réagir parfois avec jalousie, d’autres fois avec plus de distance, et s’est dite démunie face à la parole de son aîné qui dit ne plus vouloir être chez elle du tout. Elle indique avoir commencé une médiation familiale.
Entendre l’enfant derrière ses mots, l’écouter quand on est soi-même pris dans les émotions de la séparation, exercer son autorité parentale face à un enfant dans le rejet, le besoin de pouvoir se parler pour prendre des décisions parentales ajustées à la situation de séparation.