La Maison des Liens Familiaux a fait sa rentrée ! Jeudi 19 septembre a eu lieu le deuxième petit déjeuner débat de l’année. Alors que les précédents portaient sur la séparation parentale et son impact sur l’enfant, cette fois, le centre ressources de la Maison des Liens Familiaux a souhaité s’intéresser aux toutes premières séparations et à la création des premiers liens d’attachement.
Deux professionnelles étaient invitées à débattre : Sophie BIZEUL, psychologue clinicienne à la longue expérience en établissements de petite enfance et en PMI, et Habiba ZAÏD, sage-femme libérale qui travaille notamment au Calm, maison de naissance à Paris. La première a pu partager ses savoirs illustrés par ses expériences de praticienne, la seconde a apporté un regard très pratique sur la manière dont on peut accompagner et soutenir la création du lien dès la grossesse.
Dans une ambiance conviviale et studieuse, une quarantaine de personnes ont pris place dans la grande salle de la Maison des Liens Familiaux où les attendaient café, thé et plaisirs sucrés….
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Devenir parent
Sophie BIZEUL a entamé les échanges par quelques rappels :
Devenir parent, pour elle, est une histoire entamée bien avant de le devenir. « Avant d’être parent on est enfant soi-même ; il est question d’une projection d’un autre soi ». Par ailleurs, chacun est imprégné des images parentales (la manière dont on a intériorisé l’image de nos parents). C’est en réalité une « histoire articulée » qui se joue.
Elle a également souligné l’importance de la distinction opérée par Michel LEMAY (« J’ai mal à ma mère », édition Fleurus, 1979) entre les différents désirs : désir sexuel, désir de grossesse, désir de couple, désir d’avoir un enfant. Ainsi, certaines femmes en carence affective peuvent avoir eu un désir sexuel et un désir de grossesse très intense pour compenser leur passé, mais pas un désir d’enfant réel.
Enfin, être parent c’est accompagner un être humain dans un processus de séparation. Ce mouvement de séparation peut être insupportable pour le parent fragile. Dans le cas de troubles narcissiques, par exemple, les parents carencés ont des difficultés à envisager le bébé comme un sujet à part entière ; ils font des projections massives de leurs ressentis sur le bébé.
Du point de vue des soignants, la période de grossesse et de l’arrivée de l’enfant est un moment propice car c’est un temps de « transparence psychique » (Monique Bydlowski, La dette de vie : itinéraire psychanalytique de la maternité, édition PUF, 2008) : les femmes étant davantage en connexion avec leur inconscient lors de cette période, le travail thérapeutique est facilité.
Dans le public, une puéricultrice est intervenue pour souligner la difficulté, malgré tout, de repérer les fragilités lors de cette période car en post-partum les femmes restent généralement remplies de l’attention de l’entourage.
Lors de ces échanges sur les éléments pouvant alerter un professionnel sur une création pathologique du lien avec le bébé, Habiba ZAÏD a insisté sur la nécessité d’avoir également une approche culturelle de la manière dont l’arrivée de l’enfant est vécue. À titre d’exemple, ne pas préparer la layette avant la naissance pourrait être perçu comme un signe de carence alors que dans certaines cultures, cela porte tout simplement malheur. De manière générale, la sage-femme relate la complexité d’aborder la grossesse avec ses us et coutumes tout en étant immergé(s) dans les multiples injonctions des professionnels de santé. Les deux intervenantes se sont rejointes sur la nécessité d’une observation fine.
Accompagner la création du lien : le privilège de l’accompagnement global
Habiba ZAÏD expose sa pratique de sage-femme en maison de naissance. Les maisons de naissance sont des lieux de suivi de grossesse et d’accouchement gérés par des sages-femmes. Elles sont ouvertes à toutes dès lors que la grossesse reste dans le cadre de la physiologie. On y pratique l’accompagnement global : une même sage-femme suit une femme, un couple du début de la grossesse jusqu’à la consultation post natale (6 à 8 semaines après l’accouchement).
Habiba ZAÏD souligne que c’est une chance de travailler dans ces conditions car les sages-femmes disposent de temps pour connaître les futurs parents et accompagner la création du lien : « préparer le couple à l’arrivée de l’enfant consiste avant tout à offrir beaucoup de temps d’écoute. Je fais écouter le cœur des bébés aux parents eux-mêmes. La femme ou le partenaire cherche à capter les battements du cœur ; ils tiennent eux-mêmes l’appareil. Rien que ça, ça les met en lien. Ils réalisent qu’ils attendent un enfant ». En faisant cela, elle entend donner de l’autonomie aux parents : « ils commencent déjà à travailler ensemble en tant que parent ». De la même manière, elle dit aux enfants de prendre le « téléphone » pour écouter le cœur de leur futur(e) frère ou sœur… Parents, enfants, chacun se saisit de cet outil et « ça y est, ils sont une famille » dit la sage-femme.
La place du père
Selon Michel LEMAY, cité par Sophie BIZEUL, « tout père a un fantasme de grossesse ». Du fait qu’il ne vit pas la grossesse, il reste à côté de la mère et c’est une place qu’il ne peut quitter. L’arrivée du bébé peut induire chez l’homme des sentiments ambivalents, entre l’envie par rapport à la mère et la jalousie par rapport au bébé.
« La première question que nous posons, dit Habiba ZAÏD, est : « comment allez-vous? » ; et nous la posons aussi bien à la femme qu’à son partenaire. La philosophie du Calm est de permettre aux parents d’être acteurs de la grossesse et de l’accouchement. Cela vaut pour le partenaire de la femme : il ne va pas être simple spectateur, au contraire, il va être placé dans la liberté de vivre ses émotions, ses actions etc. L’accompagnement global donne une place à chacun. D’emblée, cela soutient les liens qui se tissent. »
La théorie de l’attachement : vers un nouvel hospitalisme ?
Sophie BIZEUL a fait un rappel de la théorie de l’attachement (cf. fiche pratique sur la « théorie de l’attachement » ici). Les questions du public, qui s’interrogeait sur la nécessité que la figure principale d’attachement soit la mère, ont permis de préciser que les figures d’attachement peuvent être très diverses selon l’entourage de l’enfant et qu’elles évoluent dans le temps. Silvia MACCALLI, médiatrice familiale et psychologue à la Maison des Liens Familiaux a ainsi proposé de parler en terme de « fonctions » plutôt que de père ou de mère (ex : fonctions maternelle ou paternelle).
Sophie BIZEUL a attiré l’attention de l’auditoire sur les dangers du nouvel hospitalisme dans les établissements de petite enfance. Ainsi, un personnel de crèche très changeant sera peu compatible avec l’attachement sécure des enfants dans la mesure où ceux-ci s’attachent aux auxiliaires de puériculture… « Il n’y a pas que les psychologues qui apportent des soins psychiques » a-t-elle insisté, songeant notamment aux sages-femmes, aux professionnels de la petite enfance. Or « la question de la continuité du lien créé avec la première personne est fondamentale ».
Habiba ZAÏD a fait le parallèle avec le fait qu’en structure hospitalière, la femme enceinte est en général reçue par une personne différente à chaque fois. Si elle a un vécu traumatique (ex : violences, précédente grossesse traumatique…), elle ne le racontera surement qu’à la première personne qu’elle verra mais ne sera pas en capacité de raconter plusieurs fois son histoire. L’équipe médicale peut alors passer à côté d’une information importante ne mettant pas la femme dans les conditions de sécurité nécessaires au bon déroulement de la grossesse, de l’accouchement et de l’accueil de son enfant.
Quand le lien est fragile
De riches échanges ont eu lieu sur la fragilité des liens parents-enfants (cf. fiche pratique ici), les figures d’attachement peu sécurisantes, les incapacités de certains parents…les professionnels présents se questionnant beaucoup sur leur juste positionnement.
Une participante, travaillant en PMI s’est interrogée : « Peut-on imaginer que dans le tissage des liens nous ne sommes pas égaux et que dans l’aide à la parentalité nous, professionnels, puissions accepter que les personnes ne soient pas parents tout le temps ? Il est question de notre regard sur la personne, de notre capacité à permettre à un parent de construire son propre lien avec l’enfant, à sa manière s’il ne peut pas l’être à 100% ». Sophie BIZEUL, a acquiescé tout en appelant à la vigilance sur la nécessité de continuité pour l’enfant. Poursuivant, elle a incité les professionnels à valoriser le parent qui même lorsqu’il est en carence ne l’est pas tout le temps. Valoriser ses compétences, les verbaliser, l’inviter à observer son enfant tel qu’il est….
Garance MEUNIER, coordinatrice de l’Espace de Rencontre de la Maison des Liens Familiaux a fait le lien entre les mots des professionnels adressés aux parents autour de la naissance : « attention à nos mots, ils peuvent abîmer durablement [le parent] ».
À cet égard, Habiba ZAÏD et les participants ont partagé leur expérience du récit de naissance, tous frappés de la manière dont, bien des années après la naissance de l’enfant, il peut révéler ou rappeler un véritable traumatisme : les parents se souviennent de chaque détail de ce qu’ils ont pu vivre de manière violente et font alors le lien avec leur rencontre difficile avec leur bébé. Une participante a relevé que l’accompagnement global pouvait être source de réparation.
Soutenir le parent tel qu’il est
Il a été question des injonctions dans lesquelles chaque professionnel évolue. Chacune dans son domaine, les intervenantes ont évoqué la nécessité de savoir s’y soustraire.
Alors que le peau à peau est devenu une pratique quasi automatique lors de l’accouchement, Habiba ZAÏD a observé que « certaines femmes prennent leur bébé immédiatement, d’autres ont besoin d’un long temps d’observation avant de le prendre » et a insisté sur l’importance de « laisser à chacun son tempo » lors de cette première rencontre.
Quant à Sophie BIZEUL, rappelant les propos du psychologue René Clément, dans son ouvrage « Parents en souffrance », paru aux éditions Stock, 2015, elle a invité les soignants à « cesser d’idéaliser la fonction parentale et de penser que tous les géniteurs peuvent être parents ». L’injonction « il doit voir son père puisque c’est son père » peut parfois être contraire à l’intérêt de l’enfant. Le public a échangé sur les aménagements possibles dans l’intérêt de l’enfant : plus d’échanges avec le Juge des Enfants, aménager les visites du parent de manière à éviter un tête-à-tête qui serait insupportable à l’enfant, etc. La Maison des Liens Familiaux est tout à fait sensible à ces réflexions puisque elle a mis en place dès son ouverture en 2016 un Espace de Rencontre qui est collectif.
Soutenir le parent tel qu’il est, le lien tel qu’il peut se faire, cela semble avoir été le point de rencontre des deux intervenantes et du public lors de ce petit-déjeuner.
La Maison des Liens Familiaux organise trois petits-déjeuners débat par an. Ouverts à tout public, ils ont pour objectif de convier des familles et des professionnels d’horizons à venir débattre de questions relatives au lien familial. Pour être tenus informés des prochains rendez-vous, inscrivez-vous à notre newsletter.