La Maison des Liens Familiaux organise plusieurs fois par an des petits déjeuners débats sur un thème relatif au lien familial. Plusieurs fois suggéré par les participants, le thème des parents adolescents a été choisi pour le rendez-vous du jeudi 30 janvier et a réuni une quarantaine de personnes. Les échanges ont été particulièrement nombreux., beaucoup de professionnels manifestant un grand besoin de partager leurs questionnements sur l’accompagnement des parents adolescents.  D’un côté, des travailleurs sociaux de structures comme la CAF, de centres sociaux, de permanences d’accueil ou des sages-femmes de PMI et de maternité, ont exposé les grandes difficultés qu’ils rencontrent avec ces jeunes parents : isolement, précarité, obstacles institutionnels, absence de réseau professionnel… Ils se sont dits souvent démunis, parfois inquiets. De l’autre, des professionnels de centres maternels ont pu transmettre leur expérience d’un accompagnement pensé pour les parents adolescents et la mère en particulier.

Anne-Marie DAMO, psychologue clinicienne à la Maison d’Accompagnement Parents Enfants (AVVEJ) et au Service d’Ecoute Parents-Enfants Winnicott (Olga Spitzer) et Audrey WAREMBOURG, référente au Service d’Accompagnement des Mères Lycéennes (SAMELY) étaient invitées à exposer leur pratique et nourrir les échanges.

Pour aller plus loin, vous pouvez :

Et pour être tenus informés des prochains petits déjeuners, inscrivez-vous à notre newsletter, au bas de cette page !

* * *

La question du domicile des mères adolescentes 

« Lors de l’annonce de leur grossesse, les adolescentes sont souvent mises à la porte de chez elles ». Ces mots d’Audrey WAREMBOURG, référente au Service d’Accompagnement des Mères Lycéennes (SAMELY) indiquent, très concrètement, une des premières conséquences de la grossesse dans la vie d’une adolescente. « Cela est particulièrement vrai à Paris, poursuit-elle, alors que dans d’autres départements où nous intervenons, les mères restent plus souvent au domicile familial. »

Audrey WAREMBOURG observe qu’un tiers des jeunes mères accompagnées par le SAMELY sont en hébergement instable : centres d’hébergement, centres d’hébergement spécialisés, accueil chez une amie, « mais, souvent, quand leurs parents l’apprennent, ils demandent aux parents de l’amie de mettre leur fille dehors ».

Ainsi à Paris, sur 23 lycéennes actuellement accompagnées par le SAMELY, 8 sont au domicile familial, 7 en centre maternel, 1 chez son compagnon, 1 en appartement partagé via une association, 3 en hôtel social, 1 en hôpital mère enfant, 1 en appartement autonome via une association.

Ces chiffres dessinent le contexte dans lesquelles ces mères vont vivre la maternité, puis construire leur parentalité en même temps que leur avenir professionnel, en commençant par leurs études.

 Être mère adolescente et rester scolarisée

L’association Pupilles de l’Enseignement Populaire (PEP) est à l’origine de deux dispositifs dont peuvent bénéficier les mères adolescentes. Elle a d’abord créé un service général de cours à domicile dans le but d’apporter du soutien scolaire aux enfants momentanément hors de l’école : le Service d’Assistance Pédagogique à Domicile (SAPAD). En l’occurrence, les jeunes femmes peuvent bénéficier de cours à domicile avant et après l’accouchement. Mais le SAPAD se révélant insuffisant à prévenir seul leur décrochage scolaire, le SAMELY a été créé en 2013, dans la volonté de proposer un accompagnement global et spécifique à la situation de la mère adolescente.  Il a trois missions :

  • la lutte contre le décrochage scolaire, pendant la grossesse et après la naissance ;
  • l’accompagnement dans l’élaboration de leur projet scolaire et de leur orientation future ;
  • la lutte contre l’isolement, qui touche une partie des lycéennes.

Aujourd’hui le SAMELY est établi à Paris, en Seine-et-Marne, en Essonne et en Seine-Saint-Denis.

L’accompagnement du SAMELY ne peut commencer qu’à compter du 3e mois de grossesse pour ne pas intervenir tant que l’adolescente a le choix de poursuivre ou non sa grossesse. Il est gratuit et individuel, sur une durée de 2 ans. L’équipe du SAMELY est composée de professionnels issus de secteurs variés (psychologues, éducateurs…) mais chacun tient le même rôle de référent auprès des jeunes femmes qu’il accompagne. Ces horizons professionnels divers permettent de porter des regards croisés sur les besoins de ces jeunes mères.

Une fois un contrat d’engagement signé, l’adolescente va bénéficier d’un suivi assidu. « Cela implique des rendez-vous réguliers : 1 à 2 par mois, voire plus s’il est nécessaire de la mobiliser plus. Ce peut-être à son domicile, en centre maternel, au domicile familial…ce peut être aussi chez un professionnel partenaire », expose Audrey WAREMBOURG.

Le SAMELY organise également des réunions pluridisciplinaires avec tous les professionnels qui entourent la jeune femme : conseiller principal d’éducation, travailleur social, éducateur du centre maternel…en fonction du thème à aborder et en tenant compte de la confidentialité. L’objectif est d’adapter le projet scolaire à la jeune femme. « Ce n’est pas évident pour un conseiller principal d’éducation de se représenter le quotidien de la lycéenne : sa journée commence par déposer l’enfant le matin à la crèche, or si elle arrive avec 10 minutes de retard au lycée et que les portes sont fermées, ça lui fait une matinée d’absence. Nous sommes vraiment là pour ajuster l’emploi du temps, organiser des dispenses ou des reports de stage par exemple. Il y a toute une organisation à penser en lien avec leur maternité », a précisé Audrey WAREMBOURG.

Enfin, des actions collectives sont proposées : pendant les vacances scolaires, le SAMELY organise des séjours et/ou stages de révision, dans son centre du Pouligen (Loire-Atlantique).  Le matin, des cours sont dispensés par des enseignants de la région. L’après-midi, des sorties ou des ateliers sont organisés sur des thèmes variés : contraception, construction de l’enfant, l’égalité homme-femme… Ces séjours ont également l’intérêt, d’une part de permettre aux équipes d’observer le lien entre la mère et son enfant, d’autre part de rompre l’isolement : « elles sont souvent les seules de leur classe ou de leur lycée à être mères », note Audrey WAREMBOURG. 

Soutenir le lien parent-enfant : les bénéfices de l’observation partagée 

Anne-Marie DAMO travaille à l’Espace Petite Enfance de la Maison d’Accompagnement Parent-Enfant (MAPE) de l’Association Vers la Vie pour l’Education des Jeunes (AVVEJ). La MAPE offre un hébergement pour des mères avec leur enfant jusqu’à ses 3 ans. Elles bénéficient d’un accompagnement social, scolaire ou d’insertion professionnelle par des éducateurs, mais aussi psychologique et médical. « Ces jeunes femmes ont entre 12 et 25 ans. Autant dire que la question du processus psychique adolescent entremêlé à celui de la maternité naissante se pose pour la plupart d’entre elles, sinon toutes », précise la psychologue qui poursuit : « Il va leur falloir trouver les soutiens qui vont les envelopper pour leur permettre d’envelopper à leur tour leur bébé. »

Pendant la journée, l’enfant est accueilli à l’Espace Petite Enfance, mode de garde collectif de type crèche tout au long de leur séjour au MAPE. « Ces bébés ont la particularité de faire irruption, comme s’imposant dans la vie de leur mère, parfois au cours d’une grossesse déjà bien avancée, sans qu’un temps psychique pour les penser puisse suffisamment se déployer. Dans mon expérience en tout cas, ils arrivent souvent en dehors d’un projet de vie et d’une pensée consciente élaboré », indique la psychologue. L’équipe de l’Espace Petite Enfance, à la différence d’une crèche classique, s’attache donc particulièrement à soutenir la construction du lien entre l’enfant et son ou ses parents.

Dans une approche connue des professionnels de la petite enfance et inspirée d’auteurs comme Esther BICK, Emmy PICKLER, Myriam DAVID, Donald W. WINNICOTT, l’équipe travaille à partir de « l’observation quotidienne de l’enfant dans son environnement et dans une attention partagée » : chaque membre de l’équipe (auxiliaire de puériculture, éducateur, psychologue, psychomotricienne) va observer l’enfant à l’occasion d’un soin ou d’un repas. L’attitude observante peut se faire à distance, si l’enfant est dans un moment d’activité libre, ou dans un jeu avec un autre adulte. Ces observations quotidiennes sont notées avec une grande rigueur. Elles nourrissent la connaissance de l’enfant et permettent d’être au plus près de ses besoins, de son rythme de développement. Elles sont au coeur des échanges entre professionnels et entre professionnels et parent(s).

Compte tenu des difficultés particulières des parents adolescents à percevoir les besoins de leur enfant, comprendre l’importance de leur parler et d’assurer une présence continue à ses côtés, l’équipe a mis en place un dispositif d’observation attentive spécifique, le Temps Parent Enfant, qui associe le(s) parent(s), le référent de l’enfant et le psychologue. Une fois par semaine, tous observent ensemble l’enfant pendant une trentaine de minutes. Chacun est dans une posture d’« attention bienveillante et partagée ». « L’objectif est de sensibiliser les jeunes parents aux vertus de cette attention particulière pour le développement du lien avec leur enfant et le développement de leur enfant », indique Anne-Marie DAMO. Par ce temps partagé avec les professionnels, les parents intériorisent les fonctions d’observation et d’attention. Cela leur permet d’être plus réceptifs aux besoins de l’enfant, à ses manifestations pré-verbales, gestuelles, corporelles. L’équipe attache également beaucoup d’importance à la verbalisation : s’adresser au bébé pour donner du sens à ce qu’il vit et ressent. C’est tout cela qui participe à la fonction contenante du parent, que les professionnels cherchent à transmettre dans une attitude d’accompagnement et non de jugement.

Confrontation de temporalités : l’adolescence, la parentalité, la société, la précarité

Dans la grande salle de la MDLF, le public réagit beaucoup aux propos d’Anne-Marie DAMO et Audrey WAREMBOURG, qui ont en commun de travailler dans des structures spécifiquement dédiées à l’accompagnement des parents adolescents. Les professionnels des institutions habituelles peuvent-ils accompagner ces jeunes parents ?

Une assistante sociale de la CAF, qui reçoit ces jeunes mères pour le RSA, expose ses grandes difficultés : « On arrive à un moment très complexe pour elles, elles viennent souvent d’accoucher. C’est très difficile de les orienter vers un psychologue, elles ne sont pas du tout dans ça. Souvent elles décrochent scolairement, mêmes celles qui continuaient à aller au lycée enceintes. C’est également compliqué de mobiliser les partenaires autour d’elles. Du coup, elles décrochent aussi au niveau des services sociaux et on les perd de vue… J’ai pourtant essayé d’élaborer un travail collectif mais c’est extrêmement difficile. J’atteins mes limites : il y a vraiment des situations où je ne sais pas quoi faire. Je me dis qu’avec ce public il y a des choses que je n’ai pas repérées. ».

Pour Anne-Marie DAMO, beaucoup de ces difficultés sont liées aux temporalités difficilement conciliables : l’ici et maintenant de l’adolescence, le temps singulier de la maternité, la lente construction du devenir parent, et la société qui attend beaucoup et très vite de la jeune mère. L’assistante sociale acquiesce : « Je leur fais peur, c’est évident. Alors que souvent elles vivent dans un climat anxiogène, qu’elles sont adolescentes et mères, on leur demande déjà d’être adultes, autonomes, d’avoir un travail, un appartement… »

Pour les personnes en grande précarité, le temps n’est que celui de l’urgence. Deux travailleurs sociaux d’une permanence accueillant des familles sans domicile fixe disent leur urgence quotidienne : « où dormir ce soir ? » est la première question à laquelle ils doivent répondre. Bien que mandatés par la protection de l’enfance, eux aussi ont dit leur isolement et leur manque de moyens adaptés à des jeunes femmes présentant de plus en plus souvent des troubles psychiatriques, sans aucun suivi de grossesse, et évidemment très loin de la question de la scolarité.

À la CAF aussi, la priorité est bien souvent l’hébergement : « On est de plus en plus confrontés à des ruptures d’hébergement parce que le réseau ne marche pas, le 115 ça ne marche pas. Du coup on perd le lien avec elles » renchérit une assistante sociale.

Au-delà de ce besoin premier d’hébergement, tous s’inquiètent dans ces conditions des carences psychologiques, affectives de ces jeunes mères.

Créer des liens entre professionnels

Le petit-déjeuner débat est l’occasion d’un échange de pratiques entre professionnels, de faire des ponts entre eux : à qui s’adresser pour soutenir efficacement une demande de place en crèche pour une jeune mère ? Comment constituer au mieux un dossier de demande d’admission en centre maternel ? Quand et comment s’adresser au SAMELY ?

Cette matinée permet également de partager des moyens législatifs peu utilisés. Une éducatrice de centre maternel rappelle que depuis la loi MOLLE (2009), les centres maternels ont l’obligation d’accueillir les jeunes femmes suivies par les services de protection de l’enfance. “C’est encore difficile pour les centres maternels d’entrer dans une culture du simple hébergement mais cela doit se savoir”, dit-elle. Aussi, si l’ADEMIE 75 ne reçoit pas les femmes avant le dépôt d’un dossier de demande d’admission en centre maternel, elle reçoit les professionnels les premiers et troisièmes lundis de chaque mois.

Se connaître et faire connaître les différents dispositifs, une réponse possible à l’isolement de ces différents professionnels dans l’accompagnement des parents adolescents.

L’absence du père

Le père adolescent est le plus souvent absent des différentes interventions et échanges.  La réalité est que la jeune mère est seule face aux professionnels dans l’immense majorité des cas.

S’agissant du SAMELY, le père peut être présent aux rendez-vous si la mère en est d’accord, mais cela reste très rare d’après Audrey WAREMBOURG.

Quant à l’Association Vers la Vie pour l’Education des Jeunes (AVVEJ), elle a reçu depuis un an un agrément pour l’accueil de couples de parents avec enfants. Quatre couples sont actuellement accueillis avec leur enfant, dans une phase expérimentale. “C’est très intéressant, même si le conjugal à l’adolescence pose énormément question” a indiqué Anne-Marie DAMO.

Les membres de la famille, la place de chacun

En devenant parent à l’âge de l’adolescence, ces jeunes bouleversent les places dans la famille et se retrouvent être à la fois parent et enfant. Ce double statut a des conséquences sur leur accompagnement.

Au SAMELY par exemple, si les mères sont mineures, l’équipe rencontre ses parents. “Mais pas forcément tout de suite pour créer un lien de confiance avec la jeune femme. Nous rencontrons les parents de temps en temps pour faire un point sur la scolarité, ou encore pour recueillir leur accord si leur fille veut participer à une de nos actions collectives” indique Audrey WAREMBOURG, soulignant que les parents ne sont pas toujours les interlocuteurs, “souvent ce sont des tantes”.

La place des parents de la jeune mère n’est pas sans poser question. “La famille n’est pas forcément un gage de soutien” insiste Audrey WAREMBOURG : la grossesse arrive souvent dans un contexte de conflit, ou a créé le conflit. Les tensions et les menaces sont fréquentes dans la famille de l’adolescente (“si tu échoues au lycée, je te mets à la porte”). Il peut y avoir également un surinvestissement de la jeune grand-mère, venant troubler les places dans la famille. Comment la jeune femme peut trouver sa place de mère si c’est la grand-mère qui s’occupe du bébé la nuit, l’accompagne aux rendez-vous médicaux, prend les décisions ? “Effectivement, renchérit Anne-Marie DAMO, parfois le bébé est l’écran de projections de choses qui ne lui appartiennent pas, il devient l’enjeu d’une relation mère-fille qui vient se réparer ou se conflictualiser”.

Silvia MACCALLI, médiatrice familiale à la MDLF présente l’intérêt que peut présenter l’accompagnement à la parentalité dans ces situations : espace de réflexion pour les parents, il peut accueillir des parents d’un parent adolescent pour permettre de réfléchir à leur rôle de parents et de grands-parents. La place et le rôle de chacun est un thème très fréquemment abordé en accompagnement à la parentalité.  Et quand cette maternité a causé des conflits, entre les parents, entre les parents et la jeune mère, la médiation familiale peut être un cadre adapté pour permettre aux personnes de réfléchir à leurs solutions, reprendre le dialogue, améliorer la communication.

Les grossesses adolescentes touchent et bouleversent, a conclu Anne-Marie DAMO, nous travaillons aussi à contre-courant d’idées résistantes par rapport à ces grossesses. Tous les freins que nous rencontrons sont certainement liés à une réalité difficile de notre époque, mais tout autant aux résistances à l’accueil de ces parents adolescents”. L’acceptation des parents adolescents par la société, c’est bien l’enjeu apparu en filigrane de tous les échanges de cette matinée.

La Maison des Liens Familiaux organise trois petits-déjeuners débat par an. Ouverts à tout public, ils ont pour objectif de convier des professionnels d’horizons à venir débattre de questions relatives au lien familial. Pour être tenus informés des prochains rendez-vous, inscrivez-vous à notre newsletter.